Manif BTP contre "les délinquants, les décroissants"

 

Et propos scabreux, trois semaines après la mort de Rémi Fraisse : 

 

[ Légende photo : déjà en novembre 2013, à Nantes, Alain Mustière discourt en faveur du projet  d'aéroport Vinci. A sa gauche, tenant le papier : le président de la Chambre de commerce et d'industrie. ]

 

Les manifs libérales sont de diverses sortes.

- Quand c'est la FNSEA, on souille de lisier les façades, on allume des brasiers dans les rues, et l'on écrase en public des dizaines de malheureux myocastors parce que « l'écologie ça commence à bien faire », comme dit le revenant.

- Quand c'est le Medef BTP, on bloque la circulation avec deux cents bulldozers pour exiger que les travaux de Notre-Dame-des-Landes « démarrent maintenant, sans attendre la fin des recours » (autrement dit : en niant la loi, et en oubliant de dire que la construction de l'aéroport détruirait plus de 500 emplois agricoles).*

Cette manifestation a eu lieu hier à Nantes. C'était une sorte de cargo-culte** pour faire descendre du ciel « neuf millions de passagers », comme l'a déclaré en apothéose M. Alain Mustière, président du lobby Des ailes pour l'Ouest derrière lequel on trouve la Chambre de commerce et d'industrie. Ce personnage a qualifié d'« arrière-boutique nauséabonde » les défenseurs de l'environnement. Avant de lancer la Marseillaise (car c'est la droite-fière-de-ses-valeurs), il a clamé : « Ne laissons pas les délinquants, les décroissants, décider de notre avenir ! »

Mettre la décroissance dans le même sac que la délinquance est une ânerie ; d'autant que l'on ne compte plus les délits commis au nom de la croissance.

Parler de « délinquants » est hasardeux, lorsqu'on soutient une classe politique où la délinquance ne manque pas plus qu'ailleurs.

Quant à criminaliser des manifestants qui n'ont tué personne, trois semaines après que l'on ait tué – dans le Tarn – un de ces manifestants, ce n'est pas du meilleur goût.

Mais le ton du rude M. Mustière ne peut surprendre, quand on voit le peu de compassion que la mort d'un botaniste de 21 ans suscite dans les beaux quartiers. Pour preuve, un article mis en ligne le 12 novembre : cliquez ici ***, descendez jusqu'au titre « Aimer la vérité » (!), et lisez comment – face au cadavre d'un garçon à dreadlocks – un certain milieu serre instinctivement les rangs autour de M. Valls... tout en laissant entendre (parce qu'on ne lâche rien) que des lacrymogènes sur LMPT, c'était au moins aussi grave qu'une grenade de guerre qui tue un chevelu.

Après quoi ce site fabriqué par des « pères et mères de famille » (à l'usage de «10-15 ans » visiblement voués aux écoles de commerce) insinue que le jeune mort ne devait pas être innocent.

Très chrétienne attitude, bien faite pour instruire les âmes adolescentes au sein de nos chères familles ! Le site s'honore, dit-il, des conseils d'un « moine prêcheur » ; on veut croire qu'il ne les écoute pas.

Les bons messieurs et les bonnes dames recèlent des trésors de férocité froide. Ce sont les arrière-petits-enfants de la droite des années 30 et 40 qui scandalisait Bernanos dans Les Grands cimetières et Le Chemin de la Croix-des-âmes... Après un an et demi à battre le pavé comme des gens de gauche, grande est aujourd'hui leur satisfaction de pouvoir défendre à nouveau les forces de l'ordre  – même quand elles obéissent à Manuel Gaz. Comme on chantait à Paris en 1871, après la liquidation de trois mille personnes au hasard par le général Gaston Alexandre Auguste, marquis de Galliffet et prince de Martigues : « C'est notre vaillante armée / Qui nous tira de leurs bras  / Remercie ces braves soldats / O notre patrie aimée... »

 

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* L'agriculture intéresse le Medef s'il s'agit d'agrobusiness FNSEA ou d'usines MilleVaches ; mais les paysans du bocage sont quantité négligeable. (Ils font partie des « chimpanzés du futur », comme on dit dans la Silicon Valley).

** « Cargo-culte » : rite indigène mélanésien des années 1945-1950, dans les iles ayant été occupées par l'armée américaine durant la guerre du Pacifique. Wikipedia : « Des indigènes, ayant constaté que les radio-opérateurs des troupes au sol semblaient obtenir l’arrivée de navires ou le parachutage de vivres et de médicaments simplement en les demandant dans leur poste radio-émetteur, eurent l’idée de les imiter et construisirent, de leur mieux, de fausses cabines d’opérateur-radio – avec des postes fictifs – dans lesquels ils demandaient eux aussi – dans de faux micros – l’envoi de vivres, médicaments et autres équipements dont ils pouvaient avoir besoin. Plus tard, ils construiront même de fausses pistes d'atterrissage en attendant que des avions viennent y décharger leur cargaison.  Espérer cet effet, relevait de ce qu'on a qualifié de croyance ''millénariste''. » Il y a aussi une chanson de Gainsbourg intitulée Cargo culte : « Je sais, moi, des sorciers qui invoquent les jets... »

*** Le site se présente comme un « bimensuel d'actualités pour la jeunesse de France », « porté par une vingtaine de pères et mères de famille » et se refusant à « délivrer des vérités toutes faites ». Constatons qu'il parle : a) comme M. Cazeneuve, qui s'est « refusé » pendant 24 heures à « délivrer » la « vérité toute faite » qu'était la mort d'un jeune homme ; b) comme la FNSEA, dont les « pères et mères de famille » en question ne semblent pas très éloignés non plus – puisqu'ils reproduisent son argumentaire en faveur de l'hyper-barrage de Sivens. (Argumentaire réfuté par la Confédération paysanne, adversaire résolue des agro-businessmen de la FNSEA). Décidément les « 10-15 ans » sont bien informés ! Voilà un site éducatif, Marie-Charlotte, il plairait à oncle Hubert.